Ville de Saint Nazaire les Eymes
Le château des Eymes - Fiche détaillée
 

Comme pour la plupart des domaines importants de Saint-Nazaire, son histoire est marquée par celle des familles de la noblesse de robe ou de la bourgeoisie du Parlement du Dauphiné.

Sieur Marin Boussan

Une liste de propriétaires de la communauté de Clèmes de 1620 fait état d'un Sieur Marin Boussan, lieutenant, possédant « maison, colombier, vigne au Mollard, aux Joyons d'une contenance de : 2 séterées, 1 éminée, 1 civerée 1/2 [1] ».

La présence du colombier, privilège absolument réservé aux biens nobles en Dauphiné puisqu'il n'était pas permis qu'un roturier « consume une partie de ses grains à la nourriture des pigeons, ni qu'il en fasse les délices de sa table », est un premier indice suggérant qu'il s'agit bien du clos du château.

La surface du bien semble également correspondre à celle de la propriété telle qu'elle est décrite et accompagnée d'un plan de la toute fin du XVIIe siècle : « NO 75 comprenant une maison, cour, grange, jardin, verger, vigne et plaçage au mas du Mollard pour une contenance de 2 552 toises ».

Les Boussan, riche famille d'avocats de Grenoble possèdent par ailleurs sur Clèmes, 53 parcelles de vignes, prés, terres, bois... pour une surface totale de 97 201 toises (soit 41 ha environ).

Les Rigo de Monjeune

Le premier propriétaire attesté avec certitude dans des actes notariés de 1678, est Noble Jacques Rigo dont le nom est d'ailleurs gravé avec cette même date 1678 sur une croix en fer forgé scellée dans une niche de l'angle sud du pavillon du parc.

Les Rigo sont originaires de Montjoux dans la Drôme et descendants d'Esprit Rigot, anobli par Henri IV en 1604 pour avoir « en plusieurs rencontres exposé sa vie pour la conservation et défense de notre Seigneur et Père ».

Le registre des propriétés imposables de la communauté de Clèmes en 1699 mentionne Jean-Ba tiste Rigo, fils aîné de Jacques et avocat à la cour du Dauphiné, comme propriétaire, entre autres, du clos du château.

Il décède vers 1720 après avoir légué ses biens à sa veuve Dimanche Martin. Son fils Jacques, lieutenant général de police de Grenoble et conseiller auditeur à la Chambre des Comptes du Dauphiné lui succèdera comme Seigneur des Combes. Les charges et fonctions de Jacques, pourtant sans doute rémunératrices, ne lui évitent cependant pas de rencontrer des difficultés financières.

 Le 17 septembre 1745 « Noble Jacques Rigo est poursuivi par devant Monsieur le Vibailly de Gresivodan (sic) par Sieur Alexandre Rigo Demonjeune » qui n'est autre que son frère.

Le Vibailly ordonne alors une procédure de description de l'état des fonds et bâtiments et en charge le Notaire Royal du lieu de Saint-Ismier, Claude Collavon. Celui-ci, bien qu'ayant fait assigner les sieurs Jacques et Alexandre Rigo afin qu'ils se rendent sur place à Saint Nazaire le 16 mai 1746, ne peut que constater « que l'heure d'assignation est de longtemps expirée celle de midi sans que lesdits sieurs Rigo ni personne pour eux aient daigné comparaitre ».

Dès lors, il procède à la désignation d'office de deux experts en la personne d'Antoine Veillet, maître charpentier du lieu de Clèmes d'une part et de Jean Peyrin, maître maçon du lieu de Bernin d'autre part, tous deux étant également laboureurs. Après avoir « promis de bien fidèlement en leur conscience vaquer à ladite description », les experts et le notaire « se transportent sur les deux heures après midi dans la maison du domaine ».

L’ensemble du bâtiment semble alors en bien mauvais état : « Le portail est sans couvert, le mur a besoin d’être remaillé, il faut abattre une partie du mûrier étant au-devant dont les branches apaisent sur ledit portail… ».

Etant entrés dans la maison, ils constatent que « les volets sont hors de service, le bois en étant pourry… que les murs ont besoin d’être éparvérés. Le plancher sur la terre est pourry tout autour des murs et presque jusqu’au milieu de la chambre et le plancher de dessus est troué en trois endroits par les rats ». (Les volets ainsi que l’enduit doivent être refaits, le sol ne vaut guère mieux).                

Jacques Rigo meurt à Grenoble le 21 juin 1747.

 

La famille Amat du Lauza

 

Descendants d’une ancienne famille noble du Dauphiné, ils occupent d’importantes fonctions au parlement de Grenoble dans les années 1700 et deviennent vers 1746 propriétaires du grand domaine des Rigo sur Saint-Nazaire.

 

Compte tenu de l’état de délabrement du château, d’importants aménagements intérieurs sont réalisés. A l’extérieur les ouvertures des fenêtres avec leurs linteaux légèrement arrondis sont typiques du XVIIIe siècle et remarquables par leurs élégants appuis en fer forgé.

En 1746, le château est la propriété de « Noble Gabriel Amat, Conseiller Secrétaire du Roi, Greffier en Chef honoraire au Parlement Aides et Finances de Dauphiné » comme en atteste un acte de grangeage (fermage) dit « à moitié fruit » du 5 décembre. Ce grangeage renouvelé en mai 1750, prévoit avec luxe de détails tous les droits et obligations de chaque partie.

Le fermier, Claude Richard, « vigneron de Clesmes », s'oblige ainsi, entre autres choses, « à partager tous les grains et légumes avec le Sieur Amat », à lui fournir chaque année quatre charrées de fumier, à lui livrer à son logis de Grenoble chaque vendredi une livre de beurre et deux livres pendant le Carême et également deux cents œufs de poule et six paires de poulets ».

Sieur Amat « se réserve le droit de prélever trois charges de vin[2] de la vigne de Picapou » et le fermier doit procurer « trois corbeilles de raisin au choix du sieur Amat ».

Le 17 novembre 1753, un décompte final est établi au titre de ce contrat entre le nouveau propriétaire François Amat, fils de Gabriel et Conseiller Secrétaire du Roi, Greffier en Chef au Parlement de Grenoble, et Claude Richard, en présence de Jean Perenon « très méritant prêtre et curé de Saint-Nazaire ».

 

François Amat meurt en 1760 sans descendance mâle et lègue ses biens à ses cousins Clément, Procureur au Parlement, Gabriel Seigneur de la Taurière et sa cousine Lucrèce.

                                                          

                                                                                              

Noble Gabriel Amat Seigneur de la Taurière – 1726

 

Les Rolland et la Révolution

Marie Émerentiane (1727-1796), fille de Clément Amat, épouse le 13 février 1753 à Grenoble Jean Rolland (1720-1794), avocat, Secrétaire, puis Procureur au Parlement de Grenoble. Elle devient propriétaire du château des Eymes après le décès de son père en 1777. Les Rolland auront onze enfants.

À la Révolution, aucune propriété de Saint-Nazaire ne figure sur l'état des biens des nobles ayant émigré, ce qui laisse à penser que les choses se sont passées plutôt calmement dans le village au cours de cette période pourtant troublée.

Il n'en demeure pas moins que Charles Rolland, un des fils, prend la sage décision pour sa sûreté personnelle et celle de la famille Amat Rolland de se conformer très exactement aux dispositions de la nouvelle loi révolutionnaire du 17 juillet 1793 enjoignant de brûler publiquement les anciens titres féodaux recensant les redevances liées à une terre ou « Terriers ». Il se rend donc à Grenoble avec les trois terriers et diverses autres pièces concernant le fief de Combes et les remet, au nom des sœurs Amat, aux autorités révolutionnaires.

« Le bûcher brûla deux jours hors la Porte de Bonne » les 19 et 20 novembre 1793 faisant ainsi disparaître des droits seigneuriaux, sans doute injustes, mais réduisant par là même en cendres quantité d'archives historiques qui font aujourd'hui cruellement défaut aux chercheurs...

François Rolland (1755 – 1840), fils ainé de Marie Emerentiane et de Jean, Conseiller à la Cour de Grenoble, hérite du domaine en 1794. Il se fera appeler François Rolland-Amat.

 

Au XIXe siècle

Membre du conseil municipal de Saint-Nazaire, François Rolland participe, en particulier en 1817, à la décision de remplacer l'ancienne cloche de l'église qui se trouve cassée. Le 5 juin de cette année, la nouvelle cloche est livrée, bénite et baptisée « Rosalie » par le curé Marie Joseph Bigillion. François Rolland en est le parrain et sa sœur, Demoiselle Rosalie Marie Gabrielle Rolland, la marraine.

Son fils Charles Rolland épouse Louise Teisseire petite-fille de Claude Perrier, propriétaire du château de Vizille et parente de Casimir Perrier qui fut président du Conseil sous Louis-Philippe, et s'installe au château du Bachais à Meylan, propriété de sa femme. Afin de le « doter » à la hauteur de cette alliance prestigieuse, son père met en vente, en 1836, une grande partie du domaine des Eymes (trois fermes et 80 ha de terres). C’est sa fille, Gabrielle épouse de Victor Faure, juge à Grenoble, qui hérite du clos du château.

La propriété est ainsi évoquée dans l’acte de partage d’avril 1842 : « L’enclos de Saint-Nazaire se composant de divers articles d'immeubles tous joints ensemble, consistant en une avenue plantée en marronniers ayant un portail en fer, une fontaine telle qu'elle flue dans cette avenue, un bâtiment à deux tours connus sous le nom de château, une bassecour pavée en cailloux située au nord de ce bâtiment, un autre bâtiment situé au nord de cette basse-cour servant de logement pour le jardinier. ».

Une attention particulière est accordée dans cet acte aux droits d'eau. Il est précisé que « Madame Faure et son  voisin le Sieur Jean Jacquemet continueront à jouir des eaux de la fontaine dont le triomphe est placé dans l'épaisseur du mur de clôture au moyen de deux robinets d'égale dimension, placés sur les côtés midi et nord de cette fontaine à l'effet de donner à chacun sa portion d'eau.

L'égout entier de cette fontaine est réservé à Madame Faure pour le diriger dans sa pièce d'eau et elle pourra aussi faire couler pendant la nuit la totalité de la fontaine dans son réservoir au moyen de l'ouverture qui existe dans le mur pour fermer le robinet de Jacquemet et faire reporter toute l'eau dans le sien. ».

 

Amélie Faure (1826-1886), fille de Gabrielle et de Victor Faure, épouse en 1848 Jean Baptiste Onofrio (1814-1892).

Ce brillant magistrat, fils d'immigré italien, est substitut à Saint-Etienne en 1843, substitut du procureur général à Lyon en 1849, président de Chambre à la Cour d'Appel de Lyon en 1854, avocat général en 1856. Il termine sa carrière à Paris en qualité de Conseiller à la Cour de Cassation.

Parallèlement à son parcours professionnel, il se passionne pour les Lettres, en particulier pour les langues locales, et publie en 1860 un « Glossaire des patois du Lyonnais ». Il est cependant plus connu pour avoir transcrit le répertoire du théâtre de Guignol en couchant sur le papier ce qui n'était que tradition orale. Se rendant discrètement, et à l'insu de sa famille, dans le café théâtre où étaient jouées les représentations de Guignol, il retranscrit patiemment ces pièces et sera le premier à publier en 1865, anonymement, un recueil de ce « trésor culturel populaire. »

Très actif au sein d'œuvres caritatives à Lyon, il est également Président des Hospices Civils de Lyon. C'est sans doute cette fonction qui le met en relation avec le paysagiste lyonnais Luizet, qui sera confiée la création du Parc de la Tête d'or sur d'anciens terrains des Hospices et qui interviendra aussi au château des Eymes. Il décède en 1892 et est enterré à Saint-Nazaire.

L'époque moderne

Gabrielle, l'aînée des trois filles Onofrio, épouse Ernest Villeroy. Ce dernier est l'auteur de la seconde grande campagne de travaux réalisés dans le château en 1894.

Quatre enfants naissent de l'union de Gabrielle Onofrio et d'Ernest Villeroy, dont deux marquent particulièrement de leur empreinte l'histoire de Saint-Nazaire.

Infirmière héroïque pendant la Première Guerre Mondiale, Marcelle Villeroy (1887-1985) était une forte personnalité dont les plus anciens se souviennent encore sillonnant les chemins de Saint-Nazaire au volant de sa Renault 4 CV.

Sa sœur aînée Gabrielle (1885-1970) épouse en 1905 Louis Mathieu de Vienne (1874-1944), diplomate et maire de Saint-Nazaire pendant la dernière guerre. Il décède en mars 1944.

Par arrêté du 22 août 1944, le Préfet de l’Isère nomme les membres du conseil municipal de Saint-Nazaire. C’est ainsi que Gabrielle de Vienne devient la première femme conseillère municipale de Saint-Nazaire jusqu’aux élections municipales des 29 avril et 13 mai 1945.[3]

Perpétuant une tradition familiale généreuse, (donation des vitraux de l’église notamment), Gabrielle de Vienne et sa sœur Marcelle Villeroy sont marraines de la nouvelle cloche de l’église qu’elles ont offerte en 1961 en remplacement de « Rosalie » hélas fêlée.
 


[1] Mesures anciennes : 1 sestérée ou sétérée = environ 900 toises carrées = 3768 m2 1 éminée = 450 toises, 1 civerée = 56 toises,

[2] Une charge de vin en Grésivaudan correspondait à environ 110 litres.

[3] Registre  des délibérations 1937 à 1970