Ville de Saint Nazaire les Eymes
L'impasse du Moissief - Fiche détaillée
 

Un visiteur illustre au « chemin tendant à la chènevière du Moissief »

Un homme hors du commun dans un siècle mouvementé [1]

 

D'un naturel pessimiste et puritain, marqué par le concile de Trente de 1545 et le jansénisme[2], le cardinal Le Camus méprisait les fêtes et les jeux. Il avait un idéal de rigueur, de pauvreté et de vertu dans la solitude et l'étude. Aussi fut-il tenté de refuser sa nomination à la tête de l'évêché de Grenoble en 1671.
 
Il y succède à un évêque, Pierre Scarron, à l'autorité singulièrement défaillante, qui ne sut ni gouverner ni réformer des structures diocésaines inadaptées. Plus occupé de mondanités et de futilités que d'action pastorale et de formation des prêtres, ce dernier s'appuyait sur un entourage peu recommandable et laissa à sa mort des bâtiments ruinés, des biens-fonds aliénés et un nombre considérable de créanciers.

Le Camus est très vite confronté à l'hostilité très virulente de la haute société grenobloise menant une vie fort libre, mondaine et brillante, où, à l'instar de son prédécesseur, on se préoccupe davantage de littérature, de minéralogie et de botanique que de théologie. On dit que les salons grenoblois ont peut-être servi à Molière de modèle pour Les Précieuses Ridicules. La vie de trappiste de l'évêque était évidemment un reproche permanent à cette société qui ne se refusait rien. Les deux monastères réservés aux dames de la noblesse sont très représentatifs de cet esprit « grenoblois ». Chez les Cisterciennes des Ayes et plus encore chez les Dominicaines de Montfleury, il n'y a ni clôture, ni vie de communauté. Avec une certaine retenue, sans grands éclats ni scandales, les religieuses y mènent une vie facile et mondaine. Les dévots grenoblois qui comptaient de nombreuses parentes dans ces maisons ne trouvaient rien de critiquable dans ce genre de vie. Le Camus devait se heurter à cette forteresse de Montfleury qui trouvait des défenseurs jusqu'au Parlement.

Dans le clergé grenoblois, il est confronté aux désordres habituels : absentéisme, vie mondaine, abandon de la soutane, querelles permanentes et procès incessants qui divisent le clergé. Plus grave est la crise morale du clergé régulier et séculier des campagnes et des montagnes. Ignorant, manquant de formation religieuse, moins soucieux de vie spirituelle que des avantages matériels de son état, indocile et débauché, ce clergé compte nombre d'ivrognes, de marchands querelleurs, de simoniaques[3], d'usuriers, de joueurs, de chasseurs. La corruption, la violence (il arrive à ces clercs de jouer du couteau ou du fusil voire de tuer) et même le véritable brigandage sont fréquents. Le Grésivaudan abrite une dizaine de prêtres marchands lancés dans le siècle à la recherche des profits et plus d'un pasteur ignorant ou libertin pour qui le catéchisme est chose inconnue. Les excès de boisson y caractérisent le clergé en place à l'arrivée de Le Camus. Le pèlerinage de Notre-Dame de l'Osier (près de Vinay) est un exemple célèbre des pires dérives de ce clergé[4].

On reproche aux confréries de banqueter et d'avoir une activité plus gastronomique que religieuse. Quant aux communautés régulières, elles manquent souvent à la règle par agitation, indécence ou détournement des fonds des paroisses à elles confiés.

Dès 1545 le concile de Trente avait validé définitivement la règle du célibat pour les prêtres à l'exemple des réguliers ; pourtant son application rigoureuse était encore difficile au xvIIe siècle. Mais les pasteurs de Scarron allaient parfois bien au-delà de menues tentations : « droit » de cuissage, viol, adultère, concubinage, polygamie. Très nombreux sont, dans le diocèse, les curés pères de famille, les coureurs qui « baisent filles et femmes ». Plus d'une pauvre paroissienne, également, s'estimait trop contente d'obtenir contre ses faveurs de quoi améliorer le pain quotidien. Souvent, au reste, le mari était complaisant devant le prêtre tout-puissant.

 

Le Camus affronta aussi la séculaire défiance des Savoyards à l'égard des Dauphinois, tout particulièrement au sein du Sénat de Savoie, duché alors indépendant du royaume de France. La cluse de Chambéry avec le nord de la Chartreuse et le sud des Bauges et la partie de la vallée de l'Isère comprise à peu près entre l'embouchure de l'Arc et la frontière de Chapareillan, bien que faisant partie du Duché de Savoie, appartenaient au diocèse de Grenoble.

Le Camus n'eut qu'à ouvrir les yeux sur le lamentable tableau de la plus parfaite indigence religieuse qui était celle du diocèse de Grenoble dans la France de saint Vincent de Paul. Il devait donc rebâtir complètement un diocèse aux « besoins infinis », où « la volupté et le luxe y sont dans toutes les conditions ». Il lui fallait restaurer le pouvoir de l'évêque, former et contrôler le clergé, faire de la communauté paroissiale le centre de la vie religieuse des fidèles. Il décida dans ce but d'honorer ce qui était le premier devoir de l'évêque selon le concile de Trente et que Scarron avait quasiment ignoré: les visites pastorales annuelles ou bisannuelles. Il s'y lança avec ardeur, épuisant ses compagnons de route par son endurance sur les chemins périlleux de montagne et son régime végétarien spartiate. C'est lors de ses visites à Saint Nazaire qu'il logea dans la maison du capitaine-châtelain Flory.

Devant la situation qu'il découvrit, Le Camus entendit d'emblée punir sévèrement les coupables. Il prononça ainsi quelque soixante-dix sanctions, ce qui représente une épuration de l'ordre de près de 30 %. Il fit démissionner au total près de soixante prêtres. D'autres furent envoyés se « régénérer » au séminaire. Quelques-uns, refusant de reconnaître leurs manquements, furent envoyés en prison. Au lieu de recruter, comme son prédécesseur, d'anciens soudards ou des aventuriers comme prêtres, son choix des nouveaux prêtres, très soigneusement examinés, ne put que contribuer à relever le niveau de la vie religieuse.

Étant le témoin direct, lors de ses visites, de la pauvreté de son peuple et des ravages engendrés par les guerres, Le Camus ne pouvait les oublier. Il savait le prix payé par le peuple pour les glorieuses victoires de son roi et accorda souvent une grande miséricorde à ces pêcheurs.

Dans la vallée du Grésivaudan, on signale tantôt deux paroisses éformées, à La Terrasse et à Barraux, tantôt une seule dénommée « la Vallée ». Dans le climat d'austérité et de rigueur puritaine de ces communautés, les écarts de conduite du clergé rural dauphinois se trouvent d'autant plus soulignés. Bien qu'hostile à l'hérésie, les rencontres personnelles de Le Camus avec les protestants lui rendaient difficile et même impossible d'accepter d'utiliser les dragons du roi pour « convertir » ceux avec qui il avait eu de passionnants débats théologiques. Il les impressionnait en n'hésitant pas à prêcher des heures, Bible en main, dans leurs fiefs. Il était soucieux de les convertir mais aussi de les comprendre, de discuter avec eux et de les respecter, ce qui à l'époque n'était pas si courant. Il témoigne d'une grande finesse d'observation, d'une compréhension amicale quant à la démarche théologique et à la mentalité des huguenots de son diocèse et des réformés en général. Il adjure avec insistance les catholiques de faire preuve de « beaucoup de douceur et de charité… pour les hérétiques, de leur donner bon exemple et leur rendre service, mais de ne les point fréquenter ».

Pendant trente-six ans, Le Camus ne va cesser d'œuvrer avec ténacité, avec rigueur mais aussi avec méthode pour « établir une doctrine saine et orthodoxe… maintenir les bonnes mœurs, corriger les mauvaises, animer le peuple au service de Dieu… ». Il veut faire connaître à son peuple les améliorations pastorales et la nouvelle christianisation entraînées, en terre catholique et après la tourmente des guerres de religion, par la Contre-Réforme.

Si la réussite de l'action de Le Camus fut incontestable dans ce domaine, il n'en fut pas de même dans sa lutte contre la R.P.R[5]. Si les huguenots avaient pratiquement disparu du diocèse à la fin de son ministère, c'est surtout parce que certaines régions comme l'Oisans s'étaient vidées de leur population prenant le chemin de l'exil en entraînant la ruine économique et sociale de cette région et parce que les autres huguenots avaient officiellement abjuré leur foi. Mais le pessimisme de Le Camus ne pouvait que l'amener à constater que « les N. C.[6] sont plus endurcis qu'ils n'étaient avant leur abjuration », « que le nombre des véritables convertis est très petit, si petit en ces quartiers que cela réduit presque à rien » et que « le reste n'a presque plus de religion et ne tient plus que par un point d'honneur ».

Reste que c'est avec modération et bon sens, avec patience et charité, mais aussi avec une grande honnêteté, qu'il a cherché à faire rentrer dans le giron de l'Église le « petit troupeau » égaré. Il a su éviter les persécutions brutales et sanglantes qu'ont connues le Poitou, le Languedoc et les Cévennes. Il fut donc un esprit à la fois moderne et de son temps.

Pour en savoir plus sur la vie au Piat de 1850 à 1950…

 


[1] Texte tiré de Le cardinal des montagnes Étienne Le Camus Évêque de Grenoble (1671-1707), Actes du Colloque « Le Camus » Grenoble 1971, présentés par Jean Godel, Presses Universitaires de Grenoble (1974) 280 pages.

[2] Doctrine théologique de l’évêque d’Ypres, Cornelius Jansen, à l'origine d'un mouvement religieux, puis politique et philosophique, qui se développe aux XVIIe et XVIIIe siècles, principalement en France à  l’abbaye de Port-Royal, en réaction à certaines évolutions de l'Église catholique et à l'absolutisme royal.

[3] Qui trafique des biens spirituels, des sacrements, des postes hiérarchiques ou des charges ecclésiastiques.

[4] P.H. Bordier, La vie religieuse, in Le cardinal des montagnes Étienne Le Camus Évêque de Grenoble (1671-1707), cf. supra, II, p. 167-168.

[5] Religion Prétendument Réformée.

[6] Nouveaux Convertis : les protestants qui ont abjuré leur foi.